Formidable***

Je ne sais par où commencer pour exprimer mon enthousiasme après la lecture de Congo, une histoire du Belge David Van Reybrouck, ouvrage paru en 2010 et remarquablement bien traduit du néerlandais par Isabelle Rosselin (Actes Sud, 2012). Je crois bien n’avoir jamais eu entre les mains de livre de poche aussi épais (859 pages, notes comprises) et pourtant, je l’ai dévoré en dix jours comme on avale d’un trait tous les épisodes d’une série télé, quitte à recommencer pour mieux en apprécier les détails.

Tout de ce pays m’était étranger.

Je savais vaguement qu’il y avait deux Congo, un « Brazzaville », un « Kinshasa », respectivement issus de la décolonisation française et belge ; j’avais oublié, si je l’ai jamais su, que le second, aujourd’hui République démocratique du Congo (RDC), s’était appelé « Zaïre » pendant trente ans sous le règne de Mobutu. J’ignorais que la guerre du Rwanda et les horribles génocides dans la région des Grands Lacs des années 1990 avaient largement débordé – et débordent encore – sur l’est de la RDC. Tout ça pour dire que je partais de loin.

Encore une fois, c’est une rencontre, et la perspective d’écrire une nouvelle histoire familiale (merci Ilya !), qui m’a conduite à me pencher sur cet immense pays.

Un pays dont les richesses naturelles attirent les convoitises depuis l’origine de l’économie capitaliste mondialisée (XVIe siècle), et dont la complexité ethnique se comprend un peu mieux simplement en réalisant que sa superficie avoisine celle de toute l’Europe occidentale.

Je ne reviendrai pas sur le talent d’historien de David Van Reybrouck qui, en quinze chapitres, retrace de manière magistrale l’histoire de ce pays, depuis la préhistoire jusqu’en 2010. La critique a été unanime, l’auteur a reçu de nombreux prix, son livre est devenu un best-seller, chose rare pour un ouvrage d’une réelle rigueur scientifique.

Ce que je voudrais souligner ici, c’est la virtuosité de l’écriture de D. Van Reybrouck. Pour tenir son lecteur en haleine, il sait parfaitement mêler témoignages oraux, recherches dans les archives, parties relevant de l’exposé historique indispensable pour comprendre les événements, et reportages très vivants où il n’hésite pas à mettre en scène en employant le « je » pour faire partager ses surprises ou ses réflexions. Ses rigolades aussi, car parmi toutes les personnes qu’il rencontre, anonymes ou acteurs politiques, beaucoup sont hautes en couleurs.

À mon petit niveau de biographe familial, ce livre est un modèle de composition et d’écriture. Il restera longtemps près de moi.

Avec un style dont la tessiture va de la précision scientifique à un lyrisme poétique sans apprêt, D. Van Reybrouck emmène son lecteur dans une odyssée au cœur des ténèbres* car l’histoire du Congo est tout sauf réjouissante, mais sans jamais l’ennuyer. Mieux : il lui donne envie, au sortir de ces 800 pages, d’approfondir encore. Époque coloniale, décolonisation, guerre froide, époque contemporaine où la mondialisation économique débridée poursuit son œuvre sans qu’aucun paravent d’idéologie politique ne vienne plus entraver la sape d’un pays incapable de se prendre en main…

L’histoire de la RDC semble concentrer les pires atrocités et le pire cynisme de l’histoire. Et pourtant, jamais l’auteur ne se laisse aller au misérabilisme ni au pessimisme à l’égard du peuple congolais. Au contraire, il va jusqu’à déceler dans l’histoire de ce pays ce qui est peut-être en germe dans l’histoire mondiale, comme il l’écrit p. 601 :

« La violence ethnique en Ituri** ne relevait pas de l’atavisme, d’un réflexe primitif, mais des conséquences logiques du manque de terres dans une économie de guerre au service de la mondialisation. Elle est annonciatrice, en ce sens, de ce qui attend une planète surpeuplée. Le Congo n’est pas en retard sur l’Histoire, il est en avance. »

Une assertion qui a de quoi effrayer tant le chaos dans lequel se débat depuis si longtemps le Congo paraît à nos yeux occidentaux comme le comble de l’arriération, mais qui donne aussi à réfléchir. C’est encore là une autre qualité du livre de D. Van Reybrouck : nous sortir de notre ethnocentrisme sans jamais donner de leçon.

*Les lecteurs attentifs de ce carnet se souviendront que j’ai déjà fait une petite incursion au Congo avec Joseph Conrad (voir ici) mais « Congo » ne désignait alors encore pour moi qu’une Afrique vaste et indifférenciée.

** L’Ituri est une région de la RDC riche en minerais et voisine de l’Ouganda. En 2003, après le retrait de l’amée ougandaise, milices lendus et hemas s’y affrontèrent de la même façon que Hutus et Tutsis dans la région du Kivu.

*** Le titre de ce billet qualifie de manière spontanée mon impression de lecture. Il fait aussi référence au titre éponyme de Stromae, artiste belge né d’un père rwandais – et non congolais – et d’une mère belge. Parce que cet ouvrage m’a ouvert les yeux sur les liens intimes et les haines impitoyables entre ces deux pays.

6 Replies to “Formidable***”

  1. Bigre! Si je n’étais pas dans le récit des souvenirs d’Edgar Morin (+ de 700 pages où défile le XX° s.), j’irais bien vers ce roman…

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  2. Bigre! Si je n’étais pas dans le récit des souvenirs d’Edgar Morin (+ de 700 pages où défile le XX° s.), j’irais bien vers ce roman…

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