Pour commencer ce carnet de lecture, je voudrais partager avec vous ma dernière découverte en matière de littérature épistolaire.
C’est un genre que j’aime beaucoup : les correspondances publiées donnent souvent des témoignages très vivants d’une époque passée, et révèlent la part intime insoupçonnée de personnages historiques, qu’il s’agisse d’auteurs, d’artistes, d’hommes ou de femmes politiques.
J’aime aussi les fictions qui prennent la forme d’un échange de lettres, mais c’est une autre catégorie de littérature épistolaire.
Pour l’heure, je vais vous parler des Lettres à une amie, 1923-1929, (Gallimard, 1994), que Georges Clemenceau a écrites entre 82 et 88 ans à une femme de quarante ans sa cadette, mariée et mère. Cette relation platonique d’amitié amoureuse partagée s’est poursuivie jusqu à la fin de sa vie. On y découvre un vieil homme fin et attentionné, cultivant son jardin de Vendée ainsi que son amour de la vie et des mots, jusqu’à son dernier souffle.
Tout n’est pas passionnant dans cette longue correspondance, il y a des passages très factuels, mais il n’en reste pas moins émouvant de lire les lignes, si vives, de ce monsieur de plus de 80 ans, grand homme d’État de surcroît. Je ne me figurais pas le « premier flic de France », le « Tigre » avec ses grosses moustaches, le « Père la Victoire », en amoureux tout tendre… J’ignorais aussi qu’il était parfaitement bilingue en anglais, fait plutôt rare à l’époque, pour avoir étudié puis vécu aux États-Unis, où il a d’ailleurs rencontré sa première épouse américaine.
Nous n’avons pas les lettres de l’amie avec qui Clemenceau échange mais nous les devinons grâce aux siennes. Elle venait de perdre un enfant. « Je vous aiderai à vivre, et vous m’aiderez à mourir », lui avait-il promis.
Le dernier billet qu’il lui adresse date en effet de quelques jours avant sa mort.
Restent tous ces échanges gais et spontanés, toutes ses formules d’adieu jour après jour, si joliment surannées, si simplement passionnées : « A demain et après », « A toujours », « A vous toujours », « Ever yours », « Ever », « Toujours à vous », « Vôtre », « Je suis à vous », « Je vous baise les mains », « Madame, madame, je suis fou d’amitié »…