Peu d’artistes ont, comme Joao Gilberto, créé un nouveau son, une nouvelle façon d’écrire et d’interpréter la musique, identifiable entre mille, reprise de tant de façons. Ce maître se serait pourtant bien gardé de revendiquer la paternité de la bossa nova.
Plus qu’aucun autre en effet, ce mouvement se caractérise par son côté « bande », celle qu’ont formée ses compositeurs, paroliers et interprètes dans les années 1950 et 60. Tous aimaient tant jouer ensemble, et interpréter les uns les autres leurs compositions respectives, qu’on peine à identifier qui était l’auteur de de telle ou telle chanson : citons pêle-mêle Tom Jobim, Vinicius de Moraes, Elia Regina, Joao Gilberto bien sûr, et plus tard Chico Buarque, Caetano Veloso ou Gilberto Gil…

Pour rendre hommage à Joao Gilberto, toutes les radios diffusent aujourd’hui sa « Garota de Ipanema », une de ces chansons qui procurent une émotion même à la dix-millième écoute. Il y en a tant d’autres… « Desafinado », bien sûr, envoûtée par le saxophone de Stan Getz, « Corcovado » avec la flûtée par la voix d’Astrud Gilberto… Tant de titres, avec tant de belles paroles si doucement chantées dessus…
« Quero a vida sempre assim com você perto de mim / Até o apagar da velha chama* »
* « je veux vivre toujours ainsi / avec toi à côté de moi / jusqu’à ce que s’éteigne / la vieille flamme » (Corcovado, 1960, libre traduction)

En 2013, j’ai eu la chance de passer un mois au Brésil, quinze jours à Rio, quinze jours à Salvador de Bahia, ville où a grandi Joao Gilberto. Ce séjour fut pour moi un émerveillement ininterrompu face à la beleza des gens, de la nature, de la langue, et bien sûr, de la musique de ce pays.
J’y ai découvert, à mon grand désespoir, que les jeunes considéraient la bossa nova comme une musique « pour les vieux » ! Il est vrai que, si on rapproche les dates, c’est un peu comme pour nous, Français, quand les touristes étrangers nous parlent de Brel ou de Piaf avec des trémolos dans la voix comme de la quintessence de la variété française d’aujourd’hui !
C’est néanmoins en traduisant les paroles des standards de Joao Gilberto et de ses copains que j’ai appris quelques rudiments de brésilien et aimé cette belle langue aux intonations si bien assorties aux rythmes syncopés et aux accords mélancoliques de leurs chansons.
S’il me fallait n’en garder qu’une, ici, de Joao Gilberto, pour mon petit hommage personnel, ce serait « Chega de Saudade ». Avec ses deux parties, en mode mineur, puis majeur, elle dit si bien le passage des larmes au sourire que cause l’absence de l’être aimé, entre tristesse de la séparation et joie d’imaginer les retrouvailles. Et plus largement, cette alternance de désespoir et de joie de vivre qui caractérise l’existence…
Vai minha tristeza
E diz a ela
Que sem ela não pode ser
Diz-lhe numa prece
Que ela regresse
Por que eu não posso mais sofrer
Chega de saudade
A realidade
É que sem ela não há paz
Não há beleza
É só tristeza
E a melancolia
Que não sai de mim
Não sai de mim, não sai
Mas se ela voltar, se ela voltar
Que coisa linda, que coisa louca
Pois há menos peixinhos a nadar no mar
Do que os beijinhos
Que eu darei na sua boca
Dentro dos meus braços
Os abraços
Hão de ser milhões de abraços
Apertado assim
Colado assim, calado assim
Abraços e beijinhos
E carinhos sem ter fim
Que é pra acabar com esse negócio
De você viver sem mim
Não quero mais esse negócio
De você viver sem mim
« Ma tristesse, vas et dis-lui que, sans elle, c’est impossible… Dis-lui ma prière pour qu’elle revienne, parce que je n’en peux plus de souffrir… Assez de mélancolie… La réalité, c’est que, sans elle, il n’y a ni paix, ni beauté… Rien que de la tristesse et cette mélancolie qui ne me quitte pas, qui ne me quitte jamais.
« Mais si elle revenait, si elle revenait, quelle belle chose, quelle folie ce serait… Il y a moins de petits poissons qui nagent dans la mer que de baisers que je poserais sur sa bouche… Entre mes bras, serrés, ce serait des baisers par millions, en rafale, sans un mot, des caresses et des câlins sans arrêt, pour en finir avec cette histoire que tu vives sans moi, je n’en veux plus de cette histoire, de toi qui vis loin de moi… » (libre traduction)
Bel hommage.
Merci Caroline
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