Le Diable au corps

S’il est un titre qui attise l’imagination et appelle au tumulte des sens, c’est bien celui de Raymond Radiguet, Le Diable au corps. Je vois déjà les yeux qui frisent… Les commémorations de la Première Guerre mondiale m’ont donné envie de découvrir ce roman dont la parution, en 1923, a fait scandale à bien des titres : une histoire charnelle, d’adultère, entre un garçon tout jeune – quinze ans – et une femme presque aussi jeune que lui, et surtout, presque sans remord, mariée à un soldat combattant sur le front… Le tout inspiré d’une aventure réellement vécue par l’auteur, qui s’est quand même vieilli d’un an dans sa fiction – lui n’avait que 14 ans au moment des faits !

Trop jeune pour être mobilisé, le narrateur a l’honnêteté de reconnaître qu’il vit comme « quatre ans de grandes vacances » ces années 1914-1918. Alors que les valeureux poilus sont sur le front, ces années sont pour lui celles des émois et des premiers ébats, de surcroît avec la femme d’un héros national, entre deux permissions du mari gêneur. Mention spéciale pour le passage où les deux amoureux font ensemble les courses destinées à meubler le jeune ménage avant le retour du soldat, le jeune amant choisissant la chambre à coucher du mari avec un mauvais goût malicieux, puis s’en mordant les doigts quand il doit en profiter aussi…

Sa mort prématurée a élevé Radiguet (1903-1923) au rang de jeune prodige de la littérature, certains voyant en lui, au début du XXe siècle, un Rimbaud du roman pour la fulgurance et la maturité de sa plume ainsi que son sens de la formule – qui cultive pourtant un peu trop à mon goût la facilité du paradoxe.

Selon moi, si ce roman a un intérêt pour le lecteur d’aujourd’hui, ce n’est ni pour son style ni pour son thème scabreux – l’extrême jeunesse du « héros » pouvant de nos jours choquer davantage que l’adultère antipatriotique; ce qui m’a touchée, en le lisant, c’est la façon dont un tout jeune homme ose parler de la timidité masculine, de son inconstance, et même, de sa « nature veule », comme il va jusqu’à l’écrire. À tel point que je me suis demandé si ce n’était pas cette franchise, au fond, qui avait le plus gêné les lecteurs masculins des années 1920, et si là n’était pas l’aspect du roman qui conserve aujourd’hui encore le plus fort potentiel de transgression.

Lire un homme qui décrit les faiblesses de son orgueil de mâle, son « ivresse d’homme » qui séduit, mais aussi sa lâcheté, ses hésitations, son égoïsme, la dureté de sa jalousie possessive couplée à ses sautes d’humeur lunatiques, voilà qui sort de l’ordinaire. D’autant plus que l’auteur ne cherche pas vraiment à justifier ces faiblesses par sa jeunesse au moment des faits, ni par quelque tourment adolescent.

La sincérité des sentiments, réciproques, entre les deux amants, est indubitable; elle n’exclut pourtant pas des froideurs subites de la part du jeune homme, comme quand il est bien content de retrouver les draps frais de son lit tranquillement solitaire chez ses parents… ou qu’il commet un écart avec la jeune amie suédoise de son amante, croquée comme une pêche juteuse à l’occasion d’une absence de sa chérie partie voir son mari sur le front (« je désirais Svéa comme un fruit, ce dont une maîtresse ne peut être jalouse »).

DaCL’adaptation cinématographique de Claude Autant-Lara, sortie en 1947, a de nouveau fait scandale, accusée, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, de prôner à la fois l’antimilitarisme et l’amoralisme. Elle gomme pourtant, et plus encore avec Gérard Philippe, jeune premier angélique dans le rôle du narrateur, cette description sans concession de la cruelle faiblesse, presque enfantine, qui demeure chez bien des hommes-mâles, même à l’âge adulte, et que Radiguet, du haut de ses 20 ans, nous livre ici magistralement.

Pour ceux qui voudraient le lire à l’écran, le roman est accessible ici : https://fr.wikisource.org/wiki/Le_Diable_au_corps

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