Partons loin dans le temps et l’espace avec Héritage de Miguel Bonnefoy (Payot & Rivages, 2020) qui réussit la gageure, en à peine plus de 200 pages, de nous faire voyager du Jura de la fin du XIXe siècle au Chili de Pinochet en passant par Londres sous le Biltz.
C’est une histoire de migrants sur plusieurs générations que nous propose le jeune auteur franco-vénézuélien, une histoire de personnages en quête d’une vie meilleure qui s’ancrent là où le hasard les sème et y font souche, jusqu’à la déflagration suivante.
Le premier à partir est un vigneron du Jura ruiné par le phylloxéra qui s’embarque pour le nouveau monde avec son dernier cep encore sain. Il vise la Californie mais les hasards du voyage le font débarquer à Santiago du Chili où il s’installe, reconstitue un vignoble, se marie avec une Bordelaise émigrée comme lui, a trois fils dont deux meurent dans les tranchées de la Première Guerre mondiale et le troisième en revient sérieusement amoché.
Car quoique devenue chilienne, cette famille vit dans le souvenir mythifié de la mère patrie et quand sonne l’heure de la mobilisation, le départ sous les drapeaux s’impose comme une évidence, au son joyeux de la fanfare. Lazare, une fois de retour, reste blessé à jamais dans son corps et dans son âme par ce qu’il a vécu du conflit et la mort de ses frères. Il parvient à reprendre goût à la vie en épousant Thérèse, une Française pour le moins originale qui vit avec les Indiens et apprivoise les oiseaux. De leur union naît Margot, qui poursuit la passion de sa mère pour tout ce qui vole en devenant aviatrice, et continue la lignée…

Ce résumé ne fait pas honneur à l’ouvrage de Miguel Bonnefoy dont l’originalité ne tient pas tant dans l’histoire que dans la façon de composer un récit qui se joue de la chronologie sans jamais perdre le lecteur. Grâce à une habile construction mêlant anticipations et retours en arrière, les destinées de ses hommes et femmes s’éclairent mutuellement, par un effet de miroir.
L’écriture est ciselée comme celle d’un conte, avec l’irruption de juste ce qu’il faut de ce réalisme magique caractéristique de la littérature sud-américaine pour laisser le lecteur sans certitudes. En peu de mots, l’auteur parvient à créer l’ambiance d’une époque et les univers mentaux colorés des personnages qui y passent.
Merci à Élodie B. pour cette belle découverte !