Les chiffres parlent d’eux-mêmes : l’arabe est la deuxième langue la plus parlée en France, la cinquième dans le monde, et pourtant, elle n’est quasiment pas enseignée dans nos écoles . Ceux qui se hasardent à aborder le sujet sont aussitôt taxés de faire le jeu du communautarisme ou de l’islam politique.
Il existe, face à la langue arabe, un paradoxe français. Un traitement ambivalent lui est réservé : tantôt célébrée, notamment dans le monde académique, tantôt dénigrée, dans l’univers médiatique, elle fait l’objet d’un rejet-fascination, qui mérite que l’on s’y intéresse de près, pour en examiner les ressorts. (p. 25)

Claire et synthétique, Nada Yafi décortique les pesanteurs historiques (passé colonial, immigration, terrorisme…) qui font qu’en France, l’arabe ne peut être considéré comme une langue comme les autres.
Nourri d’une riche expérience professionnelle de la langue arabe (l’autrice a tour à tour été interprète, diplomate française dans les pays arabes, directrice du centre linguistique de l’Institut du monde arabe à Paris, traductrice et éditrice de la page arabe du journal en ligne Orient XXI), cet ouvrage est aussi très personnel, ce qui le rend vivant et agréable à lire.
Celle dont le dialecte libanais est la langue maternelle n’hésite pas à faire part de ses propres difficultés d’apprentissage de la langue arabe moderne standard (fusha, la langue commune à tout le monde arabe qui n’est langue maternelle de personne…) et à émailler son texte d’anecdotes issues de son passé de traductrice diplomatique.
Elle appelle pourtant à ne pas exagérer la difficulté d’apprentissage de cette langue qu’elle qualifie joliment de « traversière », ni à exagérer la diglossie (coexistence de plusieurs variantes d’une même langue sur un même territoire) du monde arabe : chaque pays a certes son dialecte bien distinct du fusha mais les habitants savent très bien passer de l’un à l’autre en fonction du contexte et de leur interlocuteur. À mon petit niveau, c’est exactement ce que j’ai pu ressentir lors de ma récente expérience d’apprenante de l’arabe lors de mon séjour linguistique en Jordanie.
Plus largement, ce livre aide à comprendre comment , de tout temps et dans toutes les cultures, l’affirmation d’une langue constitue un enjeu de pouvoir de premier ordre, tant au niveau national qu’international.
Aujourd’hui, au-delà de l’enrichissement culturel, la France aurait tout intérêt à savoir dépasser les pesanteurs historiques et les stéréotypes qui entravent l’apprentissage de la langue arabe pour en faire non seulement « un gage de paix », comme l’écrit Nada Yafi, mais aussi un formidable vecteur de développement.
Plaidoyer pour la langue arabe est paru aux éditions Libertalia en janvier 2023.