Née au Japon en 1954, installée au Québec en 1981, Aki Shimazaki s’est mise au français à quarante ans et en a fait sa langue de plume. C’est une forme originale qu’elle nous propose : une pentalogie. Autrement dit, une série de cinq courts romans qui déclinent une même histoire courant sur plusieurs générations, du point de vue de différentes personnes d’une même famille qui l’ont vécue.
Son écriture est simple, uniforme entre les tomes quoique les narrateurs changent à chaque fois. Loin de ressentir cette neutralité du style comme un défaut, j’y ai vu le moyen de faire ressortir l’universalité des sentiments éprouvés, qu’ils soient exprimés par un homme ou une femme, un enfant, un adulte ou un vieillard, un contemporain ou quelqu’un qui a vécu le tremblement de terre de 1923, la seconde guerre mondiale ou le bombardement à Nagasaki.
C’est aussi un ton extrêmement apaisant et reposant, qui contraste avec les événements historiques tragiques qui constituent la toile de fond des rebondissements familiaux.
Il permet de prendre du recul avec tous ces aléas : quoi qu’il arrive, le furîn (clochette) de cuivre continue de tinter dans le jardin, et les camélias refleurissent chaque année…
Il traduit également, sans doute, une forme de pudeur des sentiments.
À la fin de chaque tome, un petit lexique donne la signification des mots que l’auteur a choisi de laisser en japonais transcrit. Leur musicalité émaille les phrases de juste ce qu’il faut de couleur locale pour compléter la douce ambiance des foyers à tatamis et cloisons coulissantes, enchâssant autant d’eaux qui dorment.
La même histoire se répète donc, en se déployant un peu plus à chaque fois, avec, en fonction du narrateur, un nouvel angle de vue, des détails supplémentaires, des personnages secondaires qui deviennent principaux… Cela m’a fait penser aux canons de Pachelbel et à leur façon de vous entortiller dans leurs cercles hypnotiques ((écouter ici) .
On peut commencer par n’importe quel tome. L’amie qui m’a conseillé cette excellente lecture (merci Élodie B !) les a pris dans l’ordre chronologique de rédaction ; pour ma part, et par hasard, j’ai au contraire commencé par le dernier volume paru pour remonter jusqu’au premier. Nous avons sans doute eu des impressions différentes… L’éditeur a d’ailleurs choisi de ne plus numéroter les tomes sur leur couverture, peut-être pour laisser au lecteur la liberté de prendre les pièces du puzzle dans le sens qu’il veut, et de le reconstituer à sa guise.
Les thèmes abordés ne cherchent pas à être originaux : amours éternelles contrariées, demi-fraternité cachée, désir de paternité, adoption, retrouvailles, amour maternel, transmission de la mémoire (ou absence de) au sein de la famille…
Les événements de l’histoire mondiale apparaissent presque en arrière plan. Chacun des personnages montre qu’à la fin d’une vie, ce sont les déflagrations intimes qui laissent les traces les plus profondes. Il y a des cruautés qu’on n’oublie jamais. Pour moi, ce n’est pas la guerre ni la bombe atomique, dit l’une qui a pourtant vécu ces deux tragédies (Tsubaki, p.19).
Dernière qualité : la beauté des objets que sont ces petits livres de la collection Babel d’Actes Sud. Ils se dégustent un par un, comme des chocolats fins déjà beaux à l’œil… Une jolie idée cadeau pour Noël qui approche ?
Aki Shimazaki, Tsubaki (1999), Hamaguri (2000), Tsubame (2001), Wasurenagusa (2003), Hotaru (2004), Actes Sud. Soit en français : Camélia, Palourde, Hirondelle, Myosotis et Lucioles…
Belles couvertures, objets raffinés.. Bravo Actes Sud! Et une japonaise qui écrit en français, ça ne doit pas courir les rues. Ces textes sont attirants : j’espère que le Père Noël m’en choisira un…
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