Bon nombre d’entre vous doit commencer à se demander ce que devient votre critique littéraire préférée… Je me plais du moins à l’imaginer, ce qui me décide à reprendre mon clavier ce matin.
Définitivement partie en vacances ? Submergée par les tâches de la « rentrée » ? Ou pire : en panne d’idées de lecture ou de livres inspirants ? Non, non, non, rassurez-vous, pas du tout…
Sur les conseils d’une amie qui a nourri ma période arabisante du moment – merci encore pour tes livres, Virginie, et bon vent à toi en Allemagne ! -, je suis seulement au beau milieu de plus 1500 pages d’une grande saga à la fois historique et familiale, celle écrite dans les années 1950 par Naguib Mahfouz, premier auteur de langue arabe à avoir été honoré du Prix Nobel de littérature en 1988.
La triologie Bayn-al-Qasrayn (Impasse des Deux-Palais), Qasr El-Shawq (Le Palais du désir) et Al-Sukkcariyya (Le Jardin du Passé), J.-C Lattès pour l’édition française en 1987, traduite par Philippe Vigreux, installe le lecteur au Caire pour suivre la vie d’une maisonnée traditionnelle confrontée aux bouleversements politiques et sociaux de l’Égypte entre 1917 et 1944.
Il m’a bien fallu cent pages pour entrer dans l’univers des personnages successivement présentés au cours des premiers chapitres : la mère Amina, modèle d’épouse vertueuse et soumise, jamais sortie de la « maison de l’obéissance » – terme désignant la maison conjugale ; Ahmed Abd el-Gawwad, chef de famille régnant sur son foyer en tyran, aussi sévère envers ses proches qu’il est dissolu et épicurien au dehors; les deux grandes filles à marier, Aïcha la belle et Khadiga la moqueuse; les trois fils, Yasine, aîné d’un premier lit, paresseux et porté sur la boisson, Fahmi, conscience politique du foyer, et Kamal, le petit dernier, plein d’une spontanéité attachante… Sans oublier la vieille servante, Oum Hanafi, et toutes les figures du voisinage.
Le décor est celui d’une Égypte occupée par les Anglais et les Australiens à la fin de la première guerre mondiale, dont le peuple est maintenu dans un état de minorité par l’occupant, au moins autant que le père maintient dans un état de minorité tous ceux qui vivent sous son toit, comme le Dieu de l’Islam ses croyants. Mais l’histoire n’a pas le caractère empesé que revêtent parfois les épopées historiques car nous sommes immergés dans la vie quotidienne d’un quartier et d’une maison ordinaire, suivant le fil de ses heures et de ses jours.
Ma première réaction a été de remercier le ciel de ne pas m’avoir fait naître femme en Égypte dans ces années-là… À moins d’être une almée, il aurait fallu se résigner à une vie d’enfermement au service du maître et seigneur M. l’époux, la noblesse de caractère d’une femme étant jugée à l’aune de sa douceur et de son degré d’acceptation des frasques de son mari.
Puis, j’ai également été reconnaissante de ne pas y être née homme car on comprend vite quel enfer les traditions font aussi vivre à la gent masculine, d’une autre manière mais tout aussi pesante : pour le père, obligation de se priver des plaisirs de la vie pour afficher – à l’intérieur de la maison du moins – une conduite irréprochablement austère; pour les fils, vie tremblante dans la crainte de subir l’ire de leur géniteur, du moins tant qu’ils sont dans sa maison.
D’abord exaspérée par tant d’archaïsme, j’ai fini par me laisser emporter dans le vent de l’histoire en marche, celle vers l’indépendance d’un pays et ainsi que celle, hésitante, de ses habitants vers plus de modernité. Un pays qui a accompli tant de chemin depuis… aller et retour serait-on malheureusement tenté de dire. Mais ma connaissance de l’Égypte est insuffisante pour poursuivre ici l’analyse.
Je me contente donc de me laisser prendre dans le grand souffle de l’Histoire et de ce roman. N’en étant qu’à la fin du premier tome, je suspens mon jugement sur l’ensemble mais remercie d’ores et déjà l’auteur pour me permettre de jeter un regard de l’autre côté du moucharabieh…
À suivre.